Une tribune publiée ce 18 mai et cosignée par 27 élus annonce qu’ils s’opposent à une activité qui « ne peut que générer des nuisances qui impacteront gravement l’intégrité du milieu naturel et affecteront la faune et la flore sauvage : ondes sonores aquatiques et aériennes, trafic permanent de navires à moteur pour le transport des clients et du personnel (…) ».

Ces élus s’indignent que « cette exploitation commerciale du milieu marin s’oppose directement aux engagements de nos communes du littoral méditerranéen signataires de la Charte du Sanctuaire PELAGOS pour assurer une protection maximale aux mammifères marins, des chartes ‘Zéro déchet plastique’ et de la ‘Charte d’engagement pour des plages de caractère en Méditerranée ».

Pire, ces élus considèrent que cette activité crée « des distorsions économiques inacceptables vis-à-vis des établissements de tourisme ouverts toute l’année et qui sont soumis à des régimes de taxation qui entravent leur fonctionnement et leur développement. Sans une opposition claire à cette exploitation commerciale du milieu maritime naturel ce projet risque de se multiplier sur nos côtes et se transformer en une activité événementielle qui mettra en péril l’intégrité naturelle du milieu marin ».

Du Figaro à Var-Matin, les médias locaux et nationaux reprennent en cœur cette description apocalyptique d’une nouvelle activité maritime qui va mettre en péril l’intégrité naturelle du milieu marin, rien que ça !

Mais de quelle activité s’agit-il ?

De l’augmentation du nombre de yachts le long du littoral PACA, zone d’accueil privilégiée de la navigation de luxe ?

En effet, les super yachts font leur show entre Cannes et Antibes à proximité du Palais des festivals comme le rapporte le magazine Capital dans son édition du 20 mai ?

On y apprend qu’en ce moment vous ne manqueriez pas de voir passer les 112 mètres de long du yacht Renaissance qui peut accueillir jusqu’à 36 invités et 44 membres d’équipage et qui est proposé à la location pour 3,5 millions d’euros la semaine en haute saison. Ou bien, les 96 mètres du yacht Remus qui peut accueillir 22 passagers peuvant arriver à bord par la terre, par mer mais aussi par les airs, puisqu’il disposerait d’un hélipad. Ou bien encore les 93 mètres du yacht Lady S. équipé d’une salle de cinéma format Imax à deux étages qui peut accueillir douze invités dans six suites pour la modique somme de 1,6 million d’euros la semaine. Heureusement, question pollution des eaux et de l’atmosphère, certains naviguent à l’huile de friture

Vous remarquerez que ces palaces flottants ont une capacité d’accueil plutôt modeste car la réglementation en vigueur limite le plus souvent à 12 le nombre maximum de passagers à bord pendant la navigation et exceptionnellement jusqu’à 36 passagers pour certaines unités. C’est pour le calme. Il y a souvent plus de membres d’équipage que de passagers, car cette réglementation ne limite pas les membres d’équipage. Remarquez, pour accueillir plus de passagers, il suffit d’organiser les cérémonies ou autres festivités quand le navire est amarré.

Mais non ce n’est pas de cette activité qu’il s’agit !

Alors, s’agit-il de l’augmentation de l’activité des croisiéristes dont le nombre de navires aux dimensions de plus en plus extravagantes viennent impacter notre environnement et notre santé ?

Prenons l’exemple du Scarlet Lady qui a commencé ses rotations en Méditerranée en remplacement du Valiant Lady de la compagnie Virgin Voyages. Nettement plus petit que les navires de navires de croisière de la Royal Caribbean, de Carnival Cruise Line et de la Norwegian Cruise Line, ce navire de luxe flottant fait quand même 277 mètres de long, avec 15 ponts, 1 330 cabines, 78 suites, 20 restaurants, des salles de sport et de spa.  Le Scarlet Lady balade ainsi 2 770 passagers, adultes uniquement, et ses 1 160 membres d’équipage, soit un membre d’équipage pour 2.4 passagers.

z01 Scarlet Lady P1070412 z02 P1070415

Inauguré récemment, en aout 2021, pour autant le « Scarlet Lady » laisse une traînée de contaminants potentiellement toxiques dans son sillage. Il a commencé sa saison 2024 en Méditerranée et a accosté une deuxième fois le 21 mai à Toulon. Comme le 6 mai dernier, il est arrivé en rade tout panache dehors et a continué ses rejets gazeux dans l’atmosphère à quai au port de Toulon (Photographies prises le 20 mai 2024 à 8h00 et 8h40).

Ce navire est construit pour fonctionner au moins une partie du temps avec du carburant marin très polluant dont les gaz de combustion issus de ses moteurs sont traités avec des « épurateurs » (scrubbers) qui nettoient les gaz d’échappement du navire d’une partie des contaminants toxiques qui provoquent pluies acides et maladies diverses. Ces « épurateurs » utilisent l’eau de mer pour éliminer une fraction du soufre, des hydrocarbures et des métaux lourds.

Le Scarlet Lady dispose d'épurateurs « double mode », ce qui signifie qu'il peut soit rejeter l'eau de lavage contaminée directement dans la mer, soit stocker cette eau dans des réservoirs jusqu'à ce qu'ils puissent être vidés dans un port équipé pour le traitement de ces effluents. Virgin Voyages ne communique pas sur la manière dont elle exploite les épurateurs de ces navires, dommage…

Mais non il ne s’agit pas de cette activité non plus ! C’est beaucoup plus important !

Il s’agit d’un trimaran d’une surface de 1 750m², aux dimensions extravagantes de 40m sur 45m, qui sera ancré à 600m au large du littoral de Mandelieu-la-Napoule pour accueillir un maximum de 350 personnes et une cinquantaine de membres du personnel.

Uniquement accessible par navette, les concepteurs le définissent comme un « îlot de loisirs » avec un bar-lounge, un restaurant, une piscine d’eau douce et une suite de 50 m².

z11 Scarlet Lady Canua Island 02401217B z12 Edvard Munch, 1893, The Scream, oil, tempera and pastel on cardboard, 91 x 73 cm, National Gallery of Norway

Evidemment quand on compare les dimensions du Canua Island à celles du Scarlet Lady, on prend peur ! On prend peur effectivement du manque de considération de certains élus pour leurs concitoyennes et concitoyens, du manque de discernement quant aux actions à mener en priorité pour protéger l’environnement (Scarlet Lady et Canua Island à la même échelle et le Cri d’Edvard Munch peint en 1893, National Gallery of Norway).

Après l’exploitation d’un premier exemplaire aux Fidji, les concepteurs du Canua Island s'engagent à respecter la gestion des déchets qui seront triés et rapportés à terre, à ne pas utiliser de plastique à usage unique, à gérer le retraitement des eaux usées, à utiliser du biofuel et à respecter les fonds marins avec un mouillage sur des fonds sableux.

Très vertueux n’est-ce pas mais il faut les croire sur parole, comme les propriétaires des yachts, des super-yachts et les compagnies de croisiéristes. Evidemment une projection reste à faire quant à l’impact environnemental d’une éventuelle multiplication de ces équipements et prestations réservés, ici encore, à des « passagers » journaliers aisés, prolongeant le même modèle touristique écocide et inégalitaire.

Pour autant, aujourd’hui la comparaison de l’impact environnemental de ce seul Canua Island avec ceux des yachts et des navires de croisières est sans commune mesure.

Alors pourquoi les élus signataires de cette tribune ne s’élèvent-ils pas plutôt contre l’augmentation du nombre de yachts, de celle des navires de croisières et de la multiplication de leurs rotations ? Pourquoi autorisent-ils le long de nos côtes les coffres d’amarrage pour les plus grosses unités qui multiplient les navettes entre les navires et les ports qui ne peuvent accueillir ces géants des mers comme précisé dans le SCOT et le Plan climat. Deux de ces coffres sont d’ores et déjà installés à Sanary et au Lavandou, considérés pudiquement comme des secteurs à enjeux.

Où est alors le loup qui justifie cette tribune, cette opération de pure greenwashing ?

Evidemment, du point de vue économique, que pèse la construction artisanale locale éventuelle de ces « îlots de loisirs » face aux chantiers de l’Atlantique qui par exemple viennent de produire l’Ilma, super yacht de grand luxe pour The Ritz-Carlton et qui va rejoindre la Méditerranée, certes propulsé au gaz naturel liquéfié… C'est le pot de terre contre le pot de fer, c’est donc un combat à laisser aux écologistes.

Mais en plus, n’y aurait-il pas la crainte des élus des communes littorales, constatant la diminution des surfaces des plages avec la montée des eaux, que les autorisations d’occupation temporaires délivrées aux restaurants et autres établissements de tourisme ne soient plus suffisamment rémunératrices et que les touristes préfèrent ces « ilots de loisirs » qui à l’heure actuelle échappent aux diverses taxes… C’est là que l’on devient écologistes.

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