Que n’entendons-nous pas sur les ondes, que ne lisons pas dans la presse sur l’importance des Posidonies (Posidonia oceanica) pour la mer Méditerranée, son poumon, son rôle irremplaçable pour la biodiversité, un puits de carbone extraordinaire, etc… En journalisme, cela s’appelle un marronnier, un article de presse de faible importance mais fort utile pour meubler une période d’actualité creuse.

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En revanche, le constat des scientifiques quant à la régression progressive des herbiers de Posidonie le long des côtes françaises depuis des années est plus rarement présenté. Pourtant, les causes de cette régression sont bien identifiées : anthropisation excessive du milieu marin avec la destruction de leur habitat par des infrastructures toujours plus nombreuses, recharges en sable de carrière pour maintenir des plages artificielles, arrachage par les ancres des bateaux, pollutions de toutes natures, etc.

Pourquoi ce silence relatif ? Y aurait-il des contradictions ? C’est qu’en effet, il y a bien les déclarations d’amour des politiques pour la Posidonie, sur la nécessité de la protéger (elle a été classée espèce protégée) mais, en même temps leurs décisions d’aménagements, souvent causes de leur régression, relèvent d’une stratégie économique anachronique basée sur le surdéveloppement touristique au détriment de la nature.

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Comme l’a écrit le poète Pierre Reverdy[1], « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », et des preuves il en faudrait plus de la part de ces gestionnaires pour protéger la Posidonie. En réalité, la relation des politiques à la Posidonie est plutôt du genre Posidonia, je t’aime moi non plus

Alors cette semaine explorons ce thème avec la description de quelques exemples locaux sur la dure vie des Posidonies de notre littoral.

Nous commencerons aujourd’hui par nous intéresser aux magnifiques herbiers de Posidonie qui se développent de -3m à -30m de profondeur dans l’anse des Sablettes. Dans cette zone, limité par l’anse de Fabrégas et la pointe de Mar Vivo au prolongement de la plage de Sainte-Asile, elles forment un vaste herbier. Il a été classé par les scientifiques comme une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type II, du fait de l’importance de sa surface formant un grand ensemble naturel, riche en nombreuses espèces et qui offre des potentialités biologiques importantes.

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Chaque année, à l’automne, comme nombre de plantes supérieures qu’elles sont, c’est-à-dire une plante produisant des fleurs et des graines, les Posidonies commencent à perdre leurs feuilles qui s’accumulent sur la plage des Sablettes formant de petites banquettes naturelles, protégeant le littoral de l’érosion.

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Aujourd’hui, les feuilles s’accumulent également en grande quantité dans le port de Saint-Elme, résultat d’aménagements inappropriés. Pendant des années, le port devenant impraticable pour les bateaux, les feuilles ont donc été draguées pour être stockées sur la grève en bordure du port.

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Initialement, l’abri port construit pour abriter les bateaux des pêcheurs seynois consistait en une contre-jetée reliée à la terre par une passerelle. Cette conception découlait très certainement d’une observation attentive de l’hydrodynamisme de l’endroit matinée d’une dose de bons sens. Ainsi, le courant longeant la côte n’était pas bloqué/dévié par les digues et autres épis évitant ainsi l’accumulation permanente des feuilles de Posidonie dans la zone.

Lors des travaux d’aménagement de la base nautique en 1975, la passerelle a été supprimée, le chenal comblé avec la création d’un terreplein et une nouvelle digue a été mise en place au sud du port pour abriter la base nautique. Las, le courant longeant le bord de mer a ainsi été dévié et les feuilles de Posidonie se sont immédiatement accumulées dans le cul de sac qu’était devenu le port jusqu’à empêcher la circulation des bateaux.

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Après des décennies de tergiversations en application de la philosophie locale résumée par « il est urgent d’attendre » associées à la multiplication d’études payées par les contribuables, en décembre 2020 il a été décidé de rétablir le passage du courant dans le port avec la réalisation d’un « chenal d’avivement » (sic, on ne pouvait mieux dire) à travers le terre-plein de la base nautique. Le 21 juin 2022, le chenal est enfin inauguré, vous allez voir, ce que vous allez voir, non mais. Une petite opération pour la bagatelle quand même d’un million d’euros payés par les contribuables de la Métropole.

Malheureusement, les épis, digues nord du port et sud de la base nautique toujours en place ne sont pas coopératifs, continuant à dévier le courant longeant la côte et en fin d’hiver les feuilles continuent de s’accumuler dans le port… Echec donc !

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Mais que nenni, la foi inébranlable de certains dans l’ingénierie et les largesses de la dépense publique poussent à imaginer de nouvelles solutions. Ainsi, en 2023 une entreprise a été financée (250 000€ d’après Var-Martin) pour agiter les eaux du port avec une hélice baladée au bout d’un câble dans l’espoir de remettre en suspension les feuilles déposées sur le fond dans le fol espoir qu’elles seraient entrainées par le courant… qui ne s’est toujours pas montré à la hauteur.

Eh oui, manque de chance, la nature n’est pas sympa avec les océanographes amateurs qui n’arrivent pas à reproduire dans leurs équations mathématiques l’impact des aménagements sur l’hydrodynamisme naturel des eaux marines dépendant de la bathymétrie et le pilotage par les vents…

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Aussi, comme dans le passé, en attendant une nouvelle idée lumineuse, les feuilles de Posidonies sont draguées du bord du port à l’aide d’une pelleteuse pour être stockées sur la grève à l’entrée du port de Saint-Elme. Cette année, le tas conséquent en volume et malodorant de feuilles mélangées à la vase du port a été évacué par camions en bout du quai « capitaine de Vaisseau Philippe Tailliez » du port commercial de la Seyne pour y être entreposer en attente d’élimination.

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En mai dernier, ce mélange sera finalement évacué en mer, sera « clapé » à l’aide d’une barge dont la cale s'ouvre par le fond, tirée par un remorqueur jusqu’au large de la presqu’ile de Saint-Mandrier. Discrètement, la barge une fois vidée et son remorqueur ont fait des grands ronds dans l’eau pour disperser les chargements clapés afin d’éviter qu’ils ne s’accumulent en tas sur les fonds y détruisant toute vie. Et ce, toujours aux frais des contribuables…

Pour conclure, la Posidonie qui nous rend gratuitement de nombreux services écosystémiques, une forme d’amour désintéressé, reçoit à l’évidence en réponse des politiques, un moi non plus. Alors comme le poète Pierre Reverdy, pensent-ils “qu’On se prend à beaucoup mieux aimer la réalité, parfois, après un long détour par les rêves”. Espérons que les politiques ne rêvent plus trop longtemps pour déconstruire leurs aménagements d’un autre temps et les repensent en harmonie avec la nature.

[1] Pierre Reverdy, poète français, né à Narbonne le 13 septembre 1889, l’un des précurseurs du surréalisme...