Il y a deux jours nous vous avions présenté le clapage des feuilles de Posidonie qui ont la mauvaise idée de s’accumuler à la côte, en particulier dans les ports mal conçus comme ceux de Saint-Elme ou de port Méditerranée de Six-Fours. De véritables nasses pour ces feuilles en vadrouille. Aujourd’hui, nous vous proposons un nouvel exemple local de la dure vie des Posidonies (Posidonia oceanica) de notre littoral, toujours celle de l’anse des Sablettes mais qui est considérée comme une estrangère à Saint-Mandrier, au niveau de la plage de Sainte-Asile.

Dans le premier article, nous vous avions mentionné l’importance écologique du magnifique herbier de Posidonie qui se développent entre 3m et 30m de profondeur dans l’anse des Sablettes. Sa richesse en nombreuses espèces marines (biodiversité), incluant des espèces protégées et l’importance de ses potentialités biologiques importantes ont conduit les scientifiques à classer cet herbier comme une Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

Cet herbier, rappelons-le, s’étend de l’anse de Fabrégas et la pointe de Mar Vivo à l’ouest au prolongement de la plage de Sainte-Asile à l’est.

z01   DONIA Cartographie herbier posidonie

(Source : DONIA EXPERT : Cartographie détaillée des habitats marins - Données consultées le 14 aout 2024 sur la plateforme de surveillance MEDTRIX - https://plateforme.medtrix.fr).

La vaste étendue de l’herbier de l’Anse des Sablettes de plus de 200 hectares montre des signes de régression dans sa partie la plus profonde, entre 20 et 30m de profondeur, où sont observés des rhizomes morts de Posidonie sous forme d’une bande et de taches.

z02 Panoramique 360 degrè

Justifiée par une politique visant à favoriser le développement touristique, les gestionnaires de la commune ont décidé l’artificialisation du littoral de la presqu’ile de Saint-Mandrier. Le bord de mer a ainsi été remanié pour y créer des plages. Pour exemple, la plage de Sainte-Asile naturellement constituée de galets a été artificialisée par des apports annuels de sable de carrière. Heureusement la partie au nord abritant une pinède est protégée par la loi Littoral en tant qu’espace naturel, elle a été plus faiblement artificialisée, tandis que la partie sud urbanisable a été « repensée » par les gestionnaires de la commune, qui promoteurs du rêve américain[1], ont tenté de reproduire les côtes californiennes ou hawaïennes en implantant une ligne de palmiers Washingtonia.

Devinette : Pour se mettre à l’ombre l’été, quels bancs faut-il choisir : ceux dans la pinède ou ceux sous les palmiers ?

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Evidemment si la plage naturelle était constituée de galets, c’est que l’hydrodynamisme local ne permettait pas le dépôt de sable et encore moins son accumulation au-dessus des galets de la plage. Pourtant il est bien présent sur le fond de cette anse comme le démontre à l’évidence la plage des Sablettes. Aussi, affin d’éviter que les décharges de sable sur la plage de Sainte-Asile ne soient entrainées par les courants et les vagues, un épi constitué de blocs de rochers y a été installé à côté de ceux des émissaires du réseau évacuant les eaux pluviales.

z04 Banquette Restaurant PB030023 z05 Banquette Pinède PB140205

L’herbier de Posidonie se développe jusqu’à quelques mètres du bord de la plage de Sainte-Asile. Après la chute de leurs feuilles, celles-ci sont poussées par les vagues sur la plage où elles s’échouent. Elles constituent alors des banquettes temporaires conséquentes qui protègent le littoral de l’érosion en particulier lors des périodes de largades. C’est l’un des services écosystémiques et non des moindres, rendus par les Posidonies pour les habitants du littoral.

L’APE depuis sa création il y a plus de 40 ans est évidemment très impliquée localement dans la protection de l’environnement et en particulier dans celle des herbiers de Posidonie. Nous rappelions dans un article récent, qu’en 1992, l’APE publiait 10 propositions pour préserver la presqu’île et limiter les agressions de son environnement, avec entre autres l’interdiction du mouillage de bateaux de plaisance dans les herbiers de Posidonie et l’arrêt des recharges en sable de carrière des plages.

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Avec le temps, en 2009 nous eûmes quelques écoutes de la part de l’élu de la municipalité en charge de l’environnement sensible aux actions et objectifs de l’APE. Sous son impulsion, la commune organisa une consultation publique pour connaître l’avis des touristes sur la nécessité ou pas de conserver en place les banquettes de Posidonie sur une portion de la plage de Sainte-Asile durant l’été. A une belle majorité, 70% des « estivants » approuvèrent. Des panneaux explicatifs furent installés à l’entrée et sur la plage pour expliquer les actions en cours pour la protéger. La fragilité du site était reconnue et des mouillages écologiques devaient être mis en place pour protéger l’herbier de l’arrachage des rhizomes par les ancres. Cependant Il était toujours question de recharge en sable mais d’origine marine.

Il y a 15 ans, nous considérions ces actions comme un progrès et nous espérions, naïvement sûrement, d’autres actions dans ce sens avec la prise de conscience progressive de la nécessité de préserver l’environnement pour l’intérêt et le bonheur de tous.

z10 Posidonie IMG 0317 z09 Posidonie Tes Fliche P3100011R

Las, au départ de cet élu, les mauvaises pratiques ont repris crescendo. Les panneaux ont disparu, la totalité des banquettes de Posidonie ont été détruites sur l’ensemble de la plage. Une partie des feuilles a été stockée en arrière-plage sur le terrain de la propriété Fliche et l’autre partie a été mélangée avec du sable de carrière pour en faire les fameux millefeuilles souvent nauséabonds. Sorte de gloubi-boulga de sable, galets et de feuilles de Posidonie décomposée par le traitement !

z10 gloubi boulga 02308558 z11 Posidonie banquette 02400380

Il faut savoir que la Posidonie est une espèce protégée au niveau français, par l'arrêté ministériel du 19 juillet 1988 (publié au Journal Officiel le 9 août 1988).
De même, l'herbier de posidonie est pris en considération, en tant que biotope, dans le décret d'application (n° 89.694 du 20 septembre 1989) de la « Loi littorale » n° 86.2 du 3 janvier 1986. A ce titre, les banquettes de Posidonie sont également protégées. Véritable biotope, elles abritent de nombreuses espèces animales nécessaires aux cycles marins des zones littorales.

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Des courriers répétés de l’APE à la commune lui demandant l’arrêt des recharges en sable des plages de la commune et les copies des autorisations préfectorales, ont conduit les élus de la commune a demander en 2019, eh oui ! une première autorisation de recharge en sable de carrière de la plage de Sainte Asile pour deux ans. Une autorisation a été accordée par la préfecture mais, à la demande de la commune, la dispensant de toute étude d’impact !

Cette dispense basée sur une demande qui n’avait même pas précisé la présence de la ZNIEFF Posidonies des Sablettes a conduit l’APE à déposer un recours gracieux en annulation de cette autorisation. Recours rejeté par la commune et la préfecture, la commune a donc continué ses recharges en sable de carrière.

Les recharges en sable de carrière sont des mesures de court terme pour maintenir pendant la période estivale les plages artificielles ensablées. Elles apparaissent comme des arguments promotionnels pour la vente de nouveaux biens et leur location dans une logique économique qui conduira inévitablement à un surtourisme sur le plus long terme. D’ailleurs, dès la fin de la période estivale, les vagues et les courants n’ont que faire des élucubrations humaines et des images de plages de sable exotiques d’une presqu’île dite de charme…

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Comme depuis des millénaires, la plage redevient une plage de galets. Le sable rechargé sur la plage entrainé par les eaux de pluie et les vagues lors des tempêtes est dispersé en mer. Il s’accumule sur le fond des zones protégées des courants par les épis pour former des rivières de sable dans l’herbier à proximité. Au niveau de la plage, les galets bien arrondis réapparaissent.

C’est d’ailleurs ce qui est observé sur les photographies aériennes qui montrent la progression en mer des tonnes de sable rechargés chaque année et la régression de l’herbier. Suivant les zones, sa dispersion est diffuse ou sous la forme de « rivière de sable » bien visible et en progression au cours des années.

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Les rivières de sable s’étendent au fur et à mesure des recharges annuelles en sable, les rhizomes s’ensablent progressivement et meurent sous l’effet conjugué des grains de sable de carrière aux arrêtes aiguës qui agissent comme du papier de verre sur les feuilles…

Les experts scientifiques dénoncent cette pratique comme d’ailleurs la DDTM du Var qui souligne que « tout rechargement peut avoir un impact considérable sur la flore marine, en particulier les herbiers à posidonie souvent localisés à proximité des plages. Répétée, cette méthode peut entraîner une hausse de la turbidité au niveau de la zone de dépôt. La diffusion de sédiments au large induit un potentiel étouffement de la flore aquatique »[2].

La mort programmée de l’herbier se développant à proximité de la plage, la destruction des banquettes qui dans le passé n’ont jamais été un problème pour y déposer nos serviettes poussent évidemment à demander que les paroles sur l’importance vitale de la Posidonie soient concrétisées par des actions de protection à son bénéfice.

C’est pourquoi en 2022, à la suite de l’accord préfectoral en réponse à la demande de renouvèlement de l’autorisation de recharge en sable de carrière de la plage pour une période de 10 ans toujours avec dispense d’étude d’impact, France nature Environnement de la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, du Var et l’APE ont déposé un recours gracieux contre l’arrêté préfectoral d’autorisation. Leur recours ayant été rejeté, l’APE et FNE ont alors déposé en 2023 un recours pour excès de pouvoir contre le préfet de région.

A la date de cet article, le recours n’a toujours pas fait l’objet d’un jugement aussi une relance des associations a été transmise au tribunal en juillet dernier.

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Pourtant, évidemment, l’érosion, les vagues, les courants de la portion de la plage ont eu raison du gloubi-boulga de feuilles des banquettes détruites pour être mélangées avec du sable de carrière. Entre 20 août 2023 et le 09 juin 2024 l’ensemble du gloubi-boulga a disparu, comme chaque année, dispersé en mer laissant réapparaître les galets.        

L’autorisation préfectorale de 2022 a été conditionnée à la production en 2023 d’un bilan de la première année de fonctionnement des nouveaux exutoires pluviaux devant être installés en 2022 (qui ne l’ont été qu’en juillet 2024 !) et d’un retour d’expérience de l’efficacité du millefeuille de Posidonies mis en œuvre la même année ». Ces documents ne sont pas disponibles à ce jour.

Ce qui est sûr, c’est que l’efficacité du millefeuille de Posidonies contre l’érosion de la plage peut être évaluée sur les photographies prises entre 2023 et 2024 : elle est nulle. Le sable s’est dispersé en mer étouffant l’herbier à proximité et les feuilles se sont progressivement décomposées libérant leurs éléments qui ont été incorporés dans les cycles naturels.

Combien d’années encore l’environnement naturel local sera-t-il détruit à grands frais et à la charge des contribuables locaux pour donner du rêve à des visiteurs éphémères ?

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La meilleure défense étant l’attaque, les impérities de la commune quant à la gestion de cette plage ont donc conduit les politiques locaux à des attaques, habituelles et injustifiées, contre l’APE et son président, responsables à leurs yeux d’avoir déposé un recours demandant l’application de la loi… N’y tenant plus, le 3 juillet 2024 la bulldozerisation de la plage de Sainte-Asile a été réalisée.

Cette année encore, les recharges en sable de carrière de quatre des plages de la commune ont été réalisées en juin sans les soumettre à un examen au cas par cas préalable à la réalisation éventuelle d’une évaluation environnementale et sans aucune autorisation autre qu’un arrêté municipal truffé d’erreurs. Aussi, FNE-PACA, FNE-Var et l’APE ont déposé ce 7 aout un nouveau recours pour excès de pouvoir contre le maire de Saint-Mandrier.

Pour conclure cet exemple, la saga judiciaire pour sauver les herbiers de posidonie de la presqu’ile n’est donc pas un long fleuve tranquille. C’est en effet un bel exemple du Mythe de Sisyphe de Camus, discours philosophique avec, comme réflexion centrale, la nécessaire la prise de conscience de l'absurde qui finalement "nécessite la révolte". Notre révolte contre l’absurde sera donc l’engagement des associations jusque devant les tribunaux pour que vivent les Posidonies, cette espèce unique endémique à la Méditerranée. Une preuve d’amour aussi. A l’évidence, la réponse des politiques de la commune pour la survie de la Posidonie est Je t’aime moi non plus, la banquette de Posidonie c’est pas propre !

[1]On se prend à beaucoup mieux aimer la réalité, parfois, après un long détour par les rêves”, Pierre Reverdy, poète

[2] https://www.var.gouv.fr/contenu/telechargement/11187/100396/file/strategie_erosion_2019_signe.pdf